Polar Jazz: William Memlouk "Mingus Mood"

Polar Jazz: William Memlouk "Mingus Mood"

William MEMLOUK : Mingus Mood. Editions Julliard.

William MEMLOUK : Mingus Mood. Editions Julliard.

 

1981, La Nouvelle Orléans, un bar. Assis face à face à une table, un vieux musicien de jazz et une journaliste. Elle veut parler de jazz et surtout de Charlie M. Elle semble bien connaître la vie de Charlie M. mais elle souhaite des précisions. Sur la vie du contrebassiste, de son amour pour une jeune femme aux yeux bleus, de son départ vers Tijuana à la frontière mexicaine afin d’oublier celle qu’il aime, et de l’album qu’il a forgé, peut-être le plus beau et celui qui lui tenait le plus à cœur. Le vieux musicien qui vit dans une bicoque à la sortie de La Nouvelle Orléans et subsiste en jouant dans des jam-sessions, écrivant dans Le Matin des Noirs, une revue noire très engagée, réticent au départ, se laisse aller et se confie, extirpant de sa mémoire des lambeaux d’histoires. Il évoque Charlie M. qu’il accompagna dans ses déplacements, jouant dans des night-clubs, en compagnie d’autres figures du jazz de l’époque. Bud Powell, le pianiste alcoolique, Dizzy Gillespie, Charlie Parker…

 

Il remonte à la source, narrant l’engagement de Charlie M. chez Louis Armstrong et qu’il quitta pour incompatibilité, chez Duke Ellington qu’il lâcha aussi à cause de son antagonisme avec le tromboniste Juan Tizol. La joute qui l’opposa à Nash Greenwood, un contrebassiste blanc qui organisait des duels musicaux dont il sortait toujours vainqueur. En jeu une Ford jaune de 1946 que Charlie M. gagna haut la main en interprétant Canned Heat Blues de Tommy Johnson. Un véhicule convoité pour se rendre à Tijuana. Son tabassage par un policier sous un pont, peut-être par racisme, peut-être sur les ordres de Greenwood. Et bien avant tout ce qui précède, la mort de la mère de Charlie M. alors que le gamin n’avait qu’à peine six mois, et son enfance dans le quartier déshérité le ghetto de Watts à Los Angeles. Charlie M. est habité d’une rage, d’une colère rentrée qui explose parfois, et milite activement contre le racisme, lui dont les origines sont mixtes : sa mère, Harriet Sophia Mingus, est d'ascendance chinoise, anglaise, et afro-américaine, et son père, le sergent Charles Mingus, d'ascendance suédoise et afro-américaine. Il se sent profondément Afro-américain et lutte contre les diverses injustices dont il est sujet, lui mais également ses frères de couleur. Sans oublier ses rencontres, ses séances thérapeutiques auprès du psychanalyste Finkelstein. Et sa rencontre avec cette femme aux yeux bleus, une Blanche.

 

Ce ressentiment, cette rage, cette colère, cette exacerbation, cette brûlure intérieure il les portera en lui toute sa vie, et il explose parfois, mettant sa hargne au service de sa musique, dans ses compositions et ses interprétations. Et ce sont sans aucun doute ces sentiments qui l’ont poussé toujours plus haut afin d’atteindre cette aura qui a dépassé le monde du jazz.

 

Ce livre, mi roman mi récit, est imprégné du jazz teinté d’indignation, de colère, d’émotion, de violence, de dépit, de haine, de peur, de fureur, de poésie aussi, un condensé de l’humeur musicale de l’homme et du musicien. William Memlouk s’engouffre avec brio dans un genre peu abordé par les romanciers français, le roman jazz mettant en scène des interprètes célèbres, et il augure avec panache la relève de littérateurs tels que, par exemple, Alain Gerber et Michel Boujut, hélas décédé. Son œuvre est une composition musicale qui traduit les états d’âme, les sentiments, les pulsions, les ressentiments d’un homme ulcéré. Des chapitres en forme de plages musicales dans lesquelles on retrouve Charlie M. au meilleur de sa forme, c’est-à-dire imbibé de whisky, de drogue, de fureur, transposant ses rancœurs dans des compositions flamboyantes. A quand le prochain ouvrage de William Memlouk, et qui nous fera-t-il découvrir de l’intérieur ? En attendant on pourra se gargariser les oreilles (pourquoi pas ?) avec le disque Tijuana Moods et lire l’autobiographie de Charlie Mingus : Moins qu’un chien.

 

Paul Maugendre 

 

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