Ace ATKINS : Le jardin du diable.

Ace ATKINS : Le jardin du diable.

Editions du Masque.

Ace ATKINS : Le jardin du diable. (Devil’s garden – 2009 ; traduction de Christophe Mercier). Editions du Masque.

 

La prohibition, qui débute le 16 janvier 1920 suite au vote du 18ème amendement de la constitution américaine ratifié le 29 janvier 1919 et le Volstead Act du 28 octobre 1919, durera jusqu’en 1933, entraînant des effets pervers contraires à ce qui était souhaité. La vente d’alcool était interdite ce qui n’empêcha pas ceux qui en consommait de continuer à satisfaire leurs envies, leurs besoins, leurs dépendances. Si les ouvriers devaient se contenter d’alcool frelaté, les riches pouvaient se permettre des folies.

C’est dans ce contexte que Roscoe Arbuckle, surnommé Fatty en raison de sa surcharge pondérale, vedette du cinéma muet, investit une suite de l’hôtel St. Francis de San Francisco en septembre 1921. Il est accompagné de ses deux meilleurs copains, de son chien Luke qui lui est si fidèle qu’il connait lui aussi les honneurs de films comiques, et d’une palanquée de jeunes femmes, starlettes, aventurières, hétaïres et courtisans. Pour cette petite fête en rien improvisée, il se fait livrer des caisses de gin et autres boissons alcoolisées en toute impunité. Qui dit fête et alcool dit tentative de copulation, rapprochement des corps libres consenti ou non. Et lorsque le drame arrive, tout le monde est éberlué. Les autorités s’invitent mais tous les témoins, encore sous le coup des effets délétères d’eau-de-vie de diverses provenances et ingurgitées à la bonne franquette, tout ce petit monde sait ce qu’il s’est passé tout en se contredisant. Virginia Rappe, jeune vedette de cinéma qui a enchainé les rôles sous la direction de son mari Henry Lherman, est retrouvée morte sur un lit dans l’une des chambres composant la suite. Apparemment elle aurait été écrasée par Fatty. Les circonstances de son décès sont obscures, chacun y allant de sa version. Elle aurait été violée, elle aurait ressenti de violentes douleurs abdominales, Fatty se serait amusé à lui glisser un glaçon dans son intimité, ou une bouteille de Coca, selon d’autres, en guise d’olisbos. Fatty se souvient de quelques-unes des phases érotiques mais pas de tout ce qui est avancé, et surtout il réfute la thèse de l’assassinat et surtout de sa participation dans la mort de Virginia Rappe. Néanmoins il est arrêté et traduit au tribunal.

Samuel Hammett, qui lors de sa reconversion comme écrivain prendra l’alias de Dashiell, devenant pour certains Dash, peut-être en référence à la lessive puisque son travail de détective était de blanchir les clients de l’agence Pinkerton qui recourrait à ses services, Sam Hammett est chargé d’interroger les témoins du procès et de démêler le vrai du faux et vice versa. A cette époque Hammett est marié avec Jose, enceinte de ses œuvres, il fume malgré son handicap de tuberculeux cigarettes sur cigarettes, ne dédaigne pas ingurgiter de petits verres d’alcool. Ils vivent chichement : « Ils possédaient quatre assiettes, des couverts empruntés, la table et un lit escamotable qui se dépliait la nuit ». Sans vouloir crier au chef d’œuvre, ce roman est un ouvrage qui restitue une ambiance pesante dans une affaire de meurtre supposé et Fatty est en butte à la vindicte de nombreuses personnes. De la ligue féminine notamment car la pruderie est érigée comme une bannière. C’est ainsi que lors de sa comparution au tribunal Fatty reçoit les crachats de la part de femmes en noir et de leurs filles. A croire qu’à cette époque ce n’était pas l’alcool qui embrumait les esprits mais le manque. Ce sont également les débuts, de la part des policiers, des violences envers les membres du parti communiste local. Le cinéma connait déjà les frasques sexuelles et les magouilles qui feront son charme et alimentera les journaux à scandales. Dans cet univers frelaté, Ace Atkins mélange personnages imaginaires et réels et sa narration emprunte à une sombre histoire véridique qui activa la chute de Fatty, lequel ayant débuté dans l’écurie de Mack Sennett se targuait d’avoir tout appris à Charlie Chaplin. On remarquera un duo de policiers qui se nomment Reagan et Kennedy, comme deux anciens présidents des USA. Les petites phrases humoristiques ne manquent pas et je ne peux résister au plaisir de vous en livrer quelques-unes.

« Je ne fais pas confiance à un journaliste qui ne boit pas. Ça montre qu’il n’a pas d’encre dans le sang ».

« Tes bagages ? Le seul bagage que tu aies jamais eu, c’est une culotte propre dans ton sac à main ».

« Les deux hommes se regardèrent, comme un couple de bœufs qui observent la même génisse ». Image plus suggestive et pastorale que par exemple : ils se regardèrent comme deux eunuques observant une jeune femme n’ayant pas encore enfanté.

 

Paul Maugendre

 

 

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