Quand de nombreux producteurs se conforment à la tendance, certains se placent volontairement en dehors d’une zone que l’on pourrait appeler Hype. En 2013, la house music est divisée en deux grandes tendances : Le big room et le lofi. Tout ce qui se trouvait en dehors de ces deux genres ne recevait que très peu d’exposition médiatique. C’est dans ce contexte que le Canadien Marc Leclair sort, au milieu du mois de juillet, Briefly Eternal, seul long format sur le label phare de micro-house Perlon.
Alors pourquoi parler de house music et autres barbaries sur un site dédié au jazz ?
Il existe depuis les années 80 un pont de plus en plus conséquent entre ces genres musicaux. L’un apporte à l’autre, et inversement. Des producteurs pionniers comme Omar S ou plus récemment K15, incorporent des parties entières d’improvisation de piano électrique ou de synthétiseur au sein de leurs compositions. La complémentarité existante entre ces deux mouvements est aujourd’hui évidente, et il est parfois difficile de placer un album dans une des deux catégories, tant la frontière tend à s’effacer au fil des morceaux.
Marc Leclair est un véritable stakhanoviste de la production, si bien qu’il est difficile de lui attribuer une étiquette. Que cela soit son pseudonyme Akufen, où il officie en tant que producteur de minimal house, usant de micro-samples et de synthétiseurs, ou sous son propre nom, sous lequel il accouchera du magnifique : « Musique pour 3 Femmes Enceintes », véritable ovni d’ambient onirique, prévu pour accompagner la grossesse de trois femmes de son entourage, le québécois touche à tout, et le fait bien.
Avec Briefly Eternal, le montréalais ajoute une pierre de taille à son édifice. Un long format de dix morceaux, aux influences jazz si évidentes qu’elles en deviennent prédominantes.
L’album propose un magnifique voyage, agrémenté de longs pads mélodieux, d’une basse présente sur tous les morceaux, officiant comme une signature « Made in Leclair », et de samples orchestraux, rappelant une bande originale de film. Ces samples, justement, apportent une touche inédite aux compositions de Leclair, une note dramatique que l’on pourrait presque transposer à un opéra de Wagner. On connaissait déjà les talents du producteur pour éditer des percussions de façon chirurgicale, mais il était rare qu’il réussisse à faire émerger une cohérence musicale encore plus profonde au sein de son oeuvre. Ici, il parvient habilement à mêler une rythmique 4/4 relativement classique à des samples originaux, comme celle d’une double basse, d’un saxophone, ou même d’une ténor d’opéra.
L’album est librement mixé, et même si chaque morceau est doté d’une conclusion claire, il existe une continuité implicite en son sein, comme si la batterie continuait à jouer en filigrane lors des interludes silencieux. Le tout donne l’impression d’explorer un manoir hanté un soir de pleine lune, la flamme vacillant au rythme des notes et de notre avancement dans l’inconnu. Une des choses qui renforce l’intimité existante entre l’auditeur et la composition se retrouve dans la fidélité des enregistrements : Le québécois utilise des samples dont la texture comporte un grain particulier, un son presque organique ressort de l’ensemble.
Briefly Eternal est une pièce qui se révèle réellement grâce à la cohérence de son unité, si bien qu’il est difficile voir dommageable d’écouter les morceaux qui la composent séparément ou dans un ordre qui différeraient de l’original.
Aucune oeuvre n’est parfaite, et peut-être que le producteur canadien aurait pu élargir sa palette de sonorités, qui semble parfois trop familière pour ceux étant habitués à ses anciens opus. Mais quand l’arrangement et le traitement des échantillons sonores atteignent ce niveau de perfection, il est difficile de lui reprocher un quelconque manque d’originalité. Il existe un écart certain entre les sentiments procurés par cet album et ceux que Leclair a voulu transmettre, et c’est dans cet espace précis que l’auditeur est invité à évoluer.