MUDROOROO : Chat sauvage en chute libre

Editions Asphalte.

 

A dix neuf ans, le narrateur, petit délinquant notoire, a déjà effectué plusieurs séjours en prison. Mais quand on est un sang-mêlé dans un pays où les Blancs règnent en maîtres, où les Aborigènes sont parqués dans des réserves, quel peut être son avenir ? « Personne ne s’intéresse à un délinquant de sang-mêlé et c’est très bien ainsi, en ce qui me concerne ». Il ne veut pas de la compassion des autres, tout simplement sa liberté. Mais une liberté qui va le mener vers quoi ? « Je devrais être heureux de recouvrer la liberté, mais ce n’est pas le cas. A ce moment de ma vie, sortir n’a aucun sens. Pour quelle raison sortir, exactement ? » Une forme de désabusement l’habille, mieux que les hardes qu’il porte et dont il se débarrasse rapidement, sentant le regard des autres sur lui. Et puis séjourner en geôle c’est la pitance assurée. « La prison est ma seule chance d’obtenir trois repas par jour ainsi qu’un bon lit ».

Notre ado qui dès l’âge de neuf ans a connu l’enfermement dans une maison de redressement, « un foyer pour jeunes garçons, où j’ai été formé aux techniques criminelles de base contre la rudesse de la charité chrétienne ». Maintenant on pourrait parler de formatage, et ce qui devrait être synonyme de rédemption n’est en fait qu’un marécage où ceux qui y plongent n’arriveront jamais à s’en sortir sans séquelles. En réalité il se plie à une règle non écrite, analysant avec lucidité sa condition de métis : « Qui voudrait employer un fainéant d’Abo quand il peut se payer un Rital costaud et plein d’avenir pour faire le boulot ? ». Peut-être s’enfonce-t-il avec une sorte de masochisme dans sa condition, une sorte de délectation ? « …j’éveille généralement une sorte d’intérêt hostile ou soupçonneux qui flatte mon égo ».

Sortant de la prison de Fremantle où il vient d’effectuer dix-huit mois derrière les murs, il se rend à Perth, peut-être attiré par la mer, le sable, le vent, une forme de liberté qu’il ne doit à personne, qui ne coûte rien, et dont il peut profiter à loisir. Et il laisse traîner ses regards, s’amusant à regarder les baigneurs « qui offrent leur corps rose pâle aux rayons brûlants du soleil. Curieux comme ils s’enduisent d’huile et se laissent cuire la peau afin qu’elle prenne la teinte honnie qui était la mienne à ma naissance ».

Si le narrateur se montre narquois, il ironise volontiers sur sa vie et force le dialogue avec une jeune fille qui le sonde. Elle est blanche et ne sent pas offusquée qu’un sang-mêlé l’aborde. Elle lui donne rendez-vous le soir et le présente à des amis étudiants comme elle, pérorant peinture, psychologie, philosophie, matières qui n’ont aucun secret pour le métis qui en prison a beaucoup lu et lorsqu’il ne connait pas le sujet sur lequel on lui demande son avis, emploie des formules toutes faites et absconses qui plaisent à ses interlocuteurs. Mais ces échanges ne l’amusent pas et il préfère se réfugier derrière un verre.

 

Sur fond de jazz, ce roman nous dévoile l’existence de jeunes Australiens, et surtout celle de ceux qui sont rejetés par la société au début des années soixante. Ce pays situé aux antipodes de notre monde connait les mêmes problèmes d’intégration sur fond d’existentialisme, faussement libre de tous préjugés mais pétri d’idées préconçues.

Un roman fort et poignant qui garde toute sa puissance aujourd’hui car les problèmes d’intégration ne sont toujours pas résolus. Mais le seront-ils un jour ?

Comme pour le recueil de nouvelles Paris Noir, les éditions Asphalte ont eu la bonne idée de proposer sur le rabat de la quatrième de couverture une playlist composée de morceaux rock et blues interprétés par Chuck Berry, Elvis Presley, Carl Perkins, Fats Domino, Bill Haley, The Platters, Duane Eddy, Little Richard…

 

Paul Maugendre.

 

Retrouvez les chroniques de Paul Maugendre sur son blog dédié au polar et au jazz à l'adresse suivante : www.mysterejazz-overblog.com