Maurice GOUIRAN : Franco est mort jeudi

Polar Editions Jigal.

Maurice GOUIRAN : Franco est mort jeudi. Editions Jigal.

Il est des fantômes difficiles à évacuer de la souvenance historique, et il est bon parfois de les titiller afin justement de ne pas les oublier, les occulter, les effacer, mais surtout ne pas laisser les faits, les événements se trouver déformés et si possible restituer la vérité. Ainsi Maurice Gouiran revient sur la guerre d’Espagne entre 1936 et 1939, en insérant sa reconstitution, puisée dans des documents dont il établit une liste conséquente en fin de volume, dans une intrigue qui se révèle double.

Plus belle la vie à Marseille ? Surement pas pour Manu, petit voyou à la dérive, qui vient de purger une peine de prison dont les séquelles le hantent la nuit. Il vivote seul, sa femme l’ayant quitté. Il reçoit une lettre, qui à l’origine était destinée à sa mère décédée, émanant de Paola, une petite cousine inconnue habitant en Espagne. Elle souhaitait rencontrer Elisa, la mère de Manu mais à défaut elle lui propose d’établir un test ADN afin de prouver sa filiation avec Ramon Espola, un Républicain qui a disparu lors de la guerre civile. Paola est journaliste et participe depuis quelques mois, en compagnie d’un archéologue, à l’ouverture des nombreux charniers qui ont ponctué cette page sombre de l’histoire ibérique. Le fils de Manu, Patrice, n’est pas mieux loti. Un certain King-Kong lui réclame 30.000€ suite à un détournement de drogue mais il ne possède pas le moindre fifrelin. Il n’a que trois jours pour régler sa dette. Sinon… Patrice demande bien à son père de l’aider, mais que peut faire Manu qui lui aussi est dans la mouise. Et sa mère Agnès, caissière dans un super marché, n’est guère mieux lotie. Ce tracas familial rapproche quelque peu Manu et Agnès qui se retrouvent à partager une pizza au Beau Bar où Clovis, ancien journaliste, possède ses habitudes. Léon, le tenancier, demande à Clovis si celui-ci pourrait aider Manu afin de résoudre ses problèmes. Au départ Clovis n’est guère partant pour prêter main forte à ce client qu’il connait vaguement, mais lorsque celui-ci déclare être le fils d’Elisa, il accepte. Lors d’une grève à la manufacture de tabac de la Belle de Mai à Marseille, Clovis avait eu l’occasion de rencontrer Elisa, de l’écouter parler des revendications des ouvrières et un peu de son arrivée à Marseille. Clovis qui subit une abstinence sexuelle à laquelle il n’est pas habitué, se souvient fort à propos qu’il connait à Madrid, Fabiola, une jeune femme qu’il aimerait retrouver. Mais auparavant il se rend chez Paul, le mari malheureux depuis la mort d’Elisa et qu’il a eu le plaisir de rencontrer lors de ses échanges verbaux avec l’Espagnole. Paul lui remet un petit journal intime dans lequel Elisa avait narré ses pérégrinations sur sa jeunesse de réfugiée espagnole ayant connu la Retirada à Argelès-sur-Mer, puis ses convictions communistes avant de déchirer sa carte de militante en 1953 et cela ouvre des horizons à Clovis qui décide de partir pour Madrid en compagnie de Patrice afin que celui-ci échappe à King-Kong et ses séides. Manu qui devait être à l’abri dans une cabane abandonnée nichée dans la garrigue au dessus de Marseille est pris à partie par quatre tueurs.

Au-delà de l’intrigue et des pérégrinations de Manu et de Patrice, c’est d’abord l’Espagne franquiste qui est mise en scène. De 1936 à 1939 avec les combats entre Républicains et Nationalistes, les débordements de tout bord, surtout nationalistes, les conflits à l’intérieur même du camp républicain entre anarchistes, communistes et affiliés au POUM, puis l’exode, la fameuse Retirada, jetant des milliers d’exilés sur la route bloqués ensuite par les autorités françaises derrière des barbelés sur la plage d’Argelès-sur-Mer, les désillusions des uns ou au contraire l’arrogance des autres, les vainqueurs franquistes, des soutiens militaires par Hitler et de Mussolini envers les Nationalistes, celui de Staline aux Républicains, puis les retournements de situation et les changements d’alliance, le camp de Karaganda dans le Kazakhstan, alors situé en Union Soviétique, jusqu’à la mort de Franco en 1975, et les hommages qui lui sont rendus tous les ans le 20 novembre ainsi qu’à José Antonio Primo de Rivera considéré comme l’un des martyrs du mouvement franquiste et passé par les armes le 20 novembre 1936. C’est un état des lieux, un constat implacable de la résurgence de ceux qui, nostalgiques et jeunes qui n’ont pas connu les dérives du nazisme et du franquisme, portent au pinacle et vénèrent des régimes totalitaires, dictatoriaux, racistes. Et l’on ne peut s’empêcher de comparer certains régimes politiques actuels, les rejets d’étrangers par exemple, avec ces pans tragiques de l’histoire.

Paul Maugendre


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