Magali DROUET & Sandrine LECLERC : On nous appelle les « Karachi ».

Magali DROUET & Sandrine LECLERC : On nous appelle les « Karachi ». Editions Fleuve Noir.

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Si dans les années 1960-1970, l’âge d’or du roman d’espionnage, un auteur œuvrant dans ce domaine de la littérature populaire avait osé imaginer et écrire une telle histoire, nul doute que les lecteurs se seraient extasiés devant une telle trouvaille, l’auraient trouvée extravagante, tout en sachant pertinemment que souvent ces auteurs ne couchaient pas sur le papier des inventions mais des faits souvent occultés.

D’ailleurs le Président de la République n’a-t-il pas décrété, en balayant l’air d’un revers de main négligent, voire limite méprisant, que tout ceci n’était qu’une fable ? Oubliant que toute fable qui se respecte doit posséder en épilogue une morale. Morale qui actuellement n’est toujours pas à l’ordre du jour.

Le 8 mai 2002, onze salariés de la Direction des Constructions Navales (la DCN) de Cherbourg (Manche), perdaient la vie dans un attentat perpétré à Karachi au Pakistan. Ces employés des arsenaux de la Marine française étaient en compagnie d’autres ouvriers dans un bus de la DCN lorsque celui-ci fut percuté par une voiture kamikaze. Bilan : quatorze morts dont onze Français et douze blessés. Aussitôt les instances dirigeantes françaises pointent du doigt les terroristes d’Al Qaida. Ce qui semblait logique après notamment l’attentat aux USA des Twin Towers le 11 septembre 2001. De plus la date du 8 mai n’était pas choisie au hasard, puisque c’est le jour de la commémoration de l’armistice de 1945. Enfin, ce drame c’est déroulé trois jours après la réélection de Jacques Chirac à la présidence française. Tout un faisceau de présomptions qui on s’en rendra compte plus tard arrangeait bien le monde politique aussi bien Français que Pakistanais. Le 13 mai 2002, lors de la cérémonie officielle des victimes de l’attentat, Jacques Chirac déclare : La République honore la mémoire des victimes de ce drame. Elle sait ce qu’elle leur doit et ne l’oubliera pas. Une déclaration à prendre comme toutes les déclarations avec recul et scepticisme. Entre décembre 2002 et janvier 2003 Asif Zaheer et Mohamed Bashir sont arrêtés sous diverses inculpations dont terrorisme. Le 1er avril 2003 débute le procès des deux hommes, ainsi que de cinq autres personnes suspectées de collusion, par contumace. Le 5 mai 2009 Zaheer est acquitté, faute de preuves suffisantes.

Si les familles des victimes étaient invitées tous les ans à l’Elysée, lorsque commencent les suspicions concernant non plus Al Qaida mais de sombres et triviales opérations financières, les fameuses rétro-commissions, les Karachi comme ils étaient appelés deviennent personae non grata. Depuis, tel le monstre du Loch Ness ou le Yéti, cette affaire provoque des vagues, des remous dans les couloirs, et les déclarations fusent de part et d’autres, qualifiant les allégations suggérées par les médias, qui souvent possèdent des sources considérées comme fiables, de mensonges. Et certains hommes politiques se rebiffent, s’offusquent, se vexent, se sentent offensés alors qu’ils n’hésitent pas à accuser leurs « ennemis intimes» de coupables, mettant la présomption d’innocence sous le coude. Pourtant les annonces, édictées à grand renfort de roulement de tambour, souvent contradictoires, que toute la vérité sera étalée au grand jour, fleurissent. Mais dans les faits qu’en est-il exactement ? Le 30 décembre 2008, Magali et Sandrine effectuaient une demande d’audience auprès de Nicolas Sarkozy. Le 20 janvier 2009, Patrick Ouart (ex-conseiller de Sarkozy, considéré par de nombreuses personnes comme un réel second ministre de la justice) leur adresse une fin de non-recevoir, leur expliquant que la séparation des pouvoirs ne permettait pas au Président de la République de s’exprimer sur un dossier en cours d’instruction. Il l’avait pourtant fait en avril 2009 et le refera six mois plus tard à Bruxelles et à d’autres reprises, dans l’affaire Clearstream par exemple. D’autres demandes sont effectuées, et lasses du mépris qui leur est prodigué, elles décident une nouvelle fois en septembre 2009 de renouveler leur demande mais cette fois par voie de presse, sous forme de lettre ouverte. La réponse fut sans appel. Selon Philippe Jacob, qui a eu une conversation téléphonique avec Magali, après de nombreuses tractations, des propositions leur fut faites, dont celle qui était que certaines victimes soient reçues mais sans leur avocat, « On n’impose pas ses choix au Président de la République ». Réponse de Magali « Monsieur le Président a le droit de ne pas nous recevoir en présence de notre avocat… Mais comme nous ne sommes pas encore dans une dictature, nous avons le droit de refuser votre proposition ». En guise de réponse, Jacob lâcha alors cette phrase choquante : « Mais, madame, le Président en a assez que n’importe qui demande audience pour des bobos personnels ». Edifiant non ? Et quelle marque de mépris lorsque l’on se réfère à la proclamation publique qu’avait effectuée le prédécesseur de Nicolas Sarkozy. Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres qui nous sont relatés dans ce document, des claques morales assénées par des institutions dont la déontologie, l’éthique pourtant devrait être irréprochable : Préfet (celui qui était en place à l’époque, pas celui qui a été muté suite aux incidents qui ont salué la venue de Nicolas Sarkosy à Saint-Lô en 2009 avec plus de 3000 manifestants, de nombreux blessés et des arrestations arbitraires), dirigeants de la DCN et différents services, assistantes sociales, la liste n’est pas exhaustive. Sans compter les tracasseries en tout genre, les propos choquants, blessants, méprisants, cyniques.

Sandrine et Magali, séparément ou ensembles, nous racontent ces huit années de galère, d’espoir, de frustrations, de colères, de ressentiments à l’encontre de personnes qui ne leur offrent que mépris, morgue, dédain, indifférence.