Marcus Malte : Les Harmoniques.

Marcus Malte : Les Harmoniques. Série Noire, éditions Gallimard;

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Pour Mister, pianiste de jazz, il n’y en a pas, de mystère. Des cachotteries tout simplement, un détournement de la vérité. Véra Nad, d’origine yougoslave, est morte brûlée vive. Son corps a été retrouvé dans un entrepôt et les coupables appréhendés. L’histoire pourrait s’arrêter là, mais Mister ne croit pas du tout à la version dite officielle. Les deux hommes étaient de petits dealers et ont argué la version d’une dette. Mais entre la découverte du corps et l’arrestation des soi-disant coupables il ne s’est passé que 72 heures. La police est efficace, certes, mais à ce point, c’est difficilement compréhensible. Mister soupçonne que les deux meurtriers ont mal négocié leur contrat, que quelqu’un est derrière tout ça, bref des coupables désignés comme écran de fumée. Se souvenant que Véra, son amie Véra qu’il n’a pas bien connue, dont il ne sait s’il est amoureux, se rendait parfois à l’Atelier Lazare où elle suivait des cours de théâtre. Il se renseigne sur place auprès d’une jeune femme prénommée Karima. Celle-ci accompagnée d’un homme mutique délivre des infos, peu, à regret. Toutefois Mister reçoit dans le cabaret où le soir il se produit un appel téléphonique anonyme émanant d’une jeune femme lui suggérant d’aller visiter une galerie d’art. Sur place, Mister est soufflé : douze toiles représentant Véra sont accrochées et accessoirement à vendre. Sur la première Véra est en gros plan, un corbeau volant dans le lointain ; sur la dernière le corbeau prend toute la place et Véra n’est plus qu’une silhouette dans l’iris du volatile. En compagnie de son ami Bob, agrégé de philosophie, discipline qu’il enseigna pendant vingt ans avant de passer le relais, et devenir chauffeur de taxi dilettante à bord d’une 404 déglinguée mais qui roule toujours contre vents et marées, Mister va tenter de remonter une piste qui pourrait partir du peintre, de la drogue, mais prend peut-être sa source ailleurs, dans la poudrière des Balkans.

Ce Beau Danube Blues (sous-titre du roman) est un véritable concert avec des moments, des passages, des mouvements qui se montrent tour à tour, ou simultanément : fort, orageux, doux, champêtre, shakespearien, politique, pictural, et dont je me permets de vous en dévoiler quelques morceaux choisis, le tout formant une sorte de pot-pourri. D’abord, le chapitre 1, qui est un peu le prologue, pourrait être considéré comme un chapitre pour rien. Pour moi, c’est un peu la symbolique musicale, lorsque deux exécutants se mettent au diapason, règlent leurs instruments, répètent leurs gammes, leurs arpèges, afin de se mettre à l’unisson, de chauffer la salle, avant le début véritable du récital. Une improvisation primesautière est incarnée par la répétition d’une petite troupe théâtrale, la comédienne entonnant son texte en pédalant sur un vélo d’appartement, son compagnon de scène, grassouillet, ponctuant ses réparties avec une télécommande à la main. Les cuivres se déchaînent, entraînés par les grosses caisses des fanfares, lors de l’évocation de Vukovar et des événements tragiques dont la Serbie, La Croatie et la Bosnie furent les exécutants. La partie pastorale, genre Poète et paysan de Von Suppé dans un arrangement pour trois instruments, avec à la grosse caisse, celle de la batterie, le paysan, la partition au piano de Mister et aux cymbales et à la pédale Charleston Bob le taxi. Des solos en alternance, interprétés par Véra, comme le violon tzigane qui déroule un destin, pas plaintif mais pas joyeux non plus, comme des soupirs entre les différents mouvements, des lamentos, enjoués ou tragiques. Un duo accordéon-guitare de musiciens issus des Balkans, jouant dans le métro apporte la touche exotique, contraste entre vieux et jeune, aux accords d’à-peu-près, de fausses notes, mais empreints de fougue et d’enthousiasme afin de récolter quelque menue monnaie et qui se montreront indispensables dans un domaine où la musique est supplantée par des coups de gong. La partie politique, partition jouée au tuba, pointe le ministre de l’Intérieur, un certain Karoly, décrit en ces mots par Karima : « C’est un arriviste. Un affairiste. Un menteur, un hypocrite, un égoïste, un manipulateur, un pervers. Méprisant avec les faibles, servile avec les puissants. Il n’a aucun scrupule. Aucune morale ». Il est évident que ce rôle de composition ne saurait être attribué à un personnage existant ou ayant existé.

Quelques musiciens de réputation internationale sont également invités : Gerry Mulligan, Herbie Hancock, John Coltrane, Bill Evans, Billie Holiday, les frères Adderley…

Marcus Malte rend un petit hommage également à Pascal Garnier dont il fut le compagnon de route chez Zulma. Pas un hommage appuyé, en mettant en scène un personnage portant ce nom. Tout simplement en lui attribuant un nom de rue, ce qui est quand même une certaine reconnaissance.

Après Le doigt d’Horace et Le lac des singes, voici donc le troisième volet consacré à Mister, un pianiste de jazz noir, qui parfois s’empêtre dans ses soupçons, ses déductions hâtives, ses doutes, ses humeurs. Qui est remis sur la portée par son ami Bob. Peut-on penser que d’autres histoires s’ensuivront jusqu’à former une dodécalogie, comme la dodécaphonie, les douze mesures du blues ? Pourquoi pas si l’on se fie à Mister lui-même : « Tu ne m’avais jamais raconté cette histoire, reprit Bob. - Faut bien que j’en garde quelques unes pour nos vieux jours. ».

Marcus Malte se fait rare, il prend son temps pour affiner son intrigue, son style, et le résultat est époustouflant. Marcus Malte n’écrit pas un roman, il le vit. Et les lecteurs vivent avec lui, en même temps que lui, dev