Si le nom d'Eddie Jefferson ne vous parle pas, il est pourtant celui qui se cache derrière un style qui révolutionnera le monde du jazz. Né le 3 août 1918 à Pittsburgh, Jefferson n'est pas vraiment destiné à devenir un grand nom du jazz. Passionné par les claquettes, on ne peut pas dire que sa voix soit son plus grand atout. Ni puissante, ni virtuose, il réussira pourtant à sortir son épingle du jeu lors d'une jam-session en 1949, alors qu'il a l'idée de poser sa voix sur un solo instrumental. Simple en apparence, ce geste sera à l'origine d'un nouveau mouvement : le vocalese.
Pour vous donner plus de détails sur le vocalese, il consiste à l'écriture d'un texte original, bien souvent poétique, parfois même autobiographique, que l'on vient poser sur un solo de jazz déjà existant, tout en respectant chaque changement de rythme et de mélodie. Là où le scat va improviser avec les sons et jouer avec les onomatopées, le vocalese va raconter une histoire. Et dès 1950, ce style va séduire puisque King Pleasure va populariser "Moody's Mood for Love", un titre écrit par Jefferson sur le solo du saxophoniste James Moody.
Et c'est là où Jefferson va s'illustrer davantage : le chanteur va enregistrer son tout premier morceau en vocalese, avant de collaborer avec James Moody et le saxophoniste Richie Cole. Il écrira des textes sur des standards comme Jeannine, Lady Be Good, So What, ou encore Bitches Brew, tissant un pont entre l’improvisation instrumentale et la narration chantée. L'artiste aurait pu continuer comme ça encore longtemps, s'il n'avait pas été victime d'un tragique accident.
Le 9 mai 1979, Eddie Jefferson se lève avec un pressentiment qui ne le lâche pas la journée. Il le sent : quelque chose de tragique se prépare. Il a beau prévenir ses proches, il le sent au plus profond de lui. Mais Jefferson a une grosse journée, il est attendu le soir même pour un concert à Détroit. Et malheureusement, son intuition va se transformer en véritable tragédie, puisqu'en sortant de sa représentation, il sera assassiné de quatre balles tirées à bout portant. Si le principal suspect, un ancien danseur, a été arrêté le soir même, il sera finalement acquitté pour manque de preuves.
Artiste visionnaire et figure discrète, Eddie Jefferson a transformé sa voix en instrument narratif. Le jazz, grâce à lui, a trouvé un nouveau souffle, littéralement.