Gunther SCHULLER : L’histoire du jazz.

Polar Tome 1 Le premier jazz, des origines à 1930. Editions Parenthèses/P.U.F. Traduit de l’Anglais par Danièle Ouzilou

Gunther SCHULLER : L’histoire du jazz. Tome 1 Le premier jazz, des origines à 1930. Editions Parenthèses/P.U.F. Traduit de l’Anglais par Danièle Ouzilou.

Si certains musiciens de jazz s’enorgueillissaient de jouer d’oreilles, bon nombre de leurs confrères possédaient une solide formation d’instrumentistes classiques, ayant étudié le solfège et suivi des cours auprès de professeurs ou dans des écoles spécialisées, devenant non seulement interprètes, mais également compositeurs, arrangeurs, chefs d’orchestre ou à tout le moins leader d’un band. Certains ont même mené une double carrière de musicien classique et jazz comme le pianiste et chef d’orchestre André Prévin ou Gunther Schuller, l’auteur de cet ouvrage. Gunther Schuller a débuté comme corniste dans l’orchestre symphonique de Cincinnati puis au Metropolitan Opéra de New-York mais également dans le nonette de Miles Davis.

Gunther Schuller est aussi musicologue, pédagogue, et ce qui l’intéresse c’est de pouvoir comprendre et expliquer la musique de jazz, aussi bien aux musiciens qu’aux profanes, d’en dérouler la complexité, de l’analyser et « en décrire l’anatomie musicale ». Car de tous les ouvrages qui furent rédigés, surtout ceux qui traitaient le jazz des origines, il n’en trouvait pas le côté pédagogique sérieux capable d’en extirper le sens profond, l’essence, le côté musical, l’interprétation par des musiciens autodidactes ou qui s’affirmaient comme tels. Il a souhaité combler les lacunes de ces ouvrages, surtout américains, et de développer, d’explorer toutes les facettes du jazz et éventuellement de comparer la musique classique à celle du jazz. L’une est emblématique de l’improvisation, l’autre est soumise à des partitions strictes, même si le jeu peut varier selon le tempo imposé par un chef d’orchestre et le nombre de participants.

Dans sa préface, Gunther Schuller explique ainsi sa démarche : En fait, ce volume a été écrit avec un certain a priori : chaque disque gravé depuis les premiers enregistrements de jazz jusque dans les années trente a été écouté, analysé et, si nécessaire, discuté. On ne peut porter un jugement juste sur un artiste (ou sur un mouvement musical) sans se référer à l’ensemble de son œuvre ni le situer par rapport à ses contemporains. Un peu plus loin il précise : Une autre approche est envisagée ici, qui met l’accent sur les moments, les prestations et les musiciens qui, d’une façon ou d’une autre, représentèrent des expériences novatrices dans l’évolution du jazz. En un sens, ce livre est une réponse à une série de questions liées entre elles concernant la spécificité de cette musique : qu’est-ce qui fait que le jazz fonctionne ? Qu’est-ce qui fait du jazz une musique différente ? Pourquoi tant de gens trouvent-ils le jazz émouvant ? Pourquoi produit-il un tel effet ? … Ce livre essaie donc de combiner la recherche objective de l’historien musicologue avec la subjectivité de l’auditeur engagé et de l’interprète-compositeur. C’est pourquoi il est tout particulièrement destiné au musicien ou au compositeur de formation « classique » qui ne s’est encore jamais intéressé au jazz et qui ne comprend ni son jargon ni l’enthousiasme de ses commentateurs. J’ajouterai que ce livre intéressera également l’amateur (dans le sens de curieux, de chercheur) pour diverses raisons.

Gunther Schuller n’a pas écrit la biographie des grands représentants du jazz comme on peut la retrouver dans de nombreux dictionnaires et ouvrages consacrés au jazz, mais s’attache à dégager le parcours musical de quelques interprètes. Dans les chapitres 1 et 2, il dissèque les origines par le biais de l’étude du rythme, de la forme, de l’harmonie, de la mélodie, du timbre, de l’improvisation et les débuts du jazz, le tout accompagné de multiples exemples concrets par le truchement de portées. Evidemment il faut connaitre le solfège ou tout au moins un minimum. Le chapitre 3 est consacré au premier grand soliste, Louis Armstrong, le chapitre 4 au premier grand compositeur, Jelly Roll Morton, qui se définissait lui-même comme l’inventeur du jazz, titre usurpé puisque le jazz est une déformation issue d’une musique traditionnelle (ceci étant mon avis personnel), puis le chapitre 5 s’intéresse aux virtuoses des années 20, Bix Beiderbecke en tête, sans oublier les clarinettistes comme Sidney Bechet (incontournable) Johnny Dodds, Jimmy Noone, Barney Bigard, Albert Nicholas, les cuivres, les pianistes de Harlem, Bessie Smith. Le chapitre 6 est consacré aux grands orchestres et le 7 au style Ellington, ses origines et ses développements.

Un ouvrage copieux, documenté, argumenté, classieux même et indispensable. Un grand moment de lecture et de découvertes, destiné à tous ceux qui aiment le jazz, mais aussi aux musiciens qui rejettent cette forme musicale, afin de leur démontrer qu’ils peuvent réviser leurs jugements, leur a priori, et abandonner leur position de réfractaire et de récalcitrant.

Paul Maugendre.