Walter GERBIN : Blanc comme le Diable

Polar Collection Noir express ; éditions du Barbu.

Walter GERBIN : Blanc comme le Diable.

Si le rouge est le symbole du Diable en référence aux flammes de l’enfer, ou le noir qui est synonyme des ténèbres, le titre de ce roman, Blanc comme le Diable, prend toute sa signification dans le texte écrit par Walter Gerbin. Et qualifier de roman cet ouvrage est une façon habile de cacher sous une appellation généraliste un document qui ne veut pas emprunter à l’Histoire ou dénoncer des agissements qui ce sont réellement déroulés. Même si les protagonistes sont pour la plupart issus de l’imagination de l’auteur, de même que les faits relatés, le lecteur ne pourra que se référer à des événements qui secouent de temps à autres les arcanes du monde politique, qui défrayent par à coup les institutions judiciaires et les médias, et de cet imbroglio serpentiforme qui se nomme la Françafrique.

Mama-France est une vieille dame de soixante-treize ans qui parle à ses fantômes faute d’avoir une conversation suivie avec ses enfants, et ses interlocuteurs au moins ne la rabrouent pas. Elle a eu neuf enfants, mais ne subsistent, ou n’apparaissent, que Serge qui tient une sorte de tribune dans une radio locale parisienne, Jonathan qui purge une peine de prison pour un crime dont il se défend d’être l’auteur, et Claudette qui vient la voir de temps en temps afin de retrouver sa place dans son giron. Les fantômes de Mama-France s’appellent Ngworé et Kara, deux enfants qu’elle a gardés et qui étaient les fils d’Emile. Mais les enfants sont morts accidentellement et Emile est toujours là. Elle n’avait que treize ans lorsqu’elle avait été livrée à Emile, là-bas, dans la région des Grands Lacs, dans une région africaine qui a connu bien des bouleversements, des guerres, des génocides, et des appétits de la part des Européens, principalement de la France. Emile Chevreuil, ou plutôt le fils d’Emile, est conseiller auprès d’un ministère à Paris et il connaît bien l’Afrique même s’il n’y est jamais allé. Mais il sait que l’Afrique, plus particulièrement le Rwanda, le Congo belge devenu le Zaïre, et leurs voisins, possèdent dans leurs sous-sols une réserve de coltan, un minerai rare donc précieux. Car, et c’est le conseiller qui parle Je fus immédiatement responsable des équipements sanitaires et médicaux pour différentes ex-colonies, consultant auprès des Affaires étrangères, auprès de l’ONU, auprès d’un tas d’institutions qui font toujours bonne figure mais qui cachent une simple vérité. Et cette vérité, pour résumer, consiste à faire en sorte que chaque centime offert à l’Afrique rapporte, d’une façon ou d’une autre, mille fois plus. Si Jo est emprisonné c’est un peu la faute d’Emile, qui l’a accusé de la mort d’Héloïse, qui était soi-disant sa femme. Heureusement Mama-France possède un ami, plus jeune qu’elle, Benoît, qui joue du piano et doit lui apprendre à taper sur les touches de son instrument qui trône dans une pièce vide, c’est un peu son rayon de soleil à elle.

Et c’est ainsi que les soubresauts de la grande Histoire, qui n’est d’ailleurs pas si grande que ça si l’on considère toutes les iniquités dont elle est source, interfèrent avec la petite histoire, celle d’Emile le conseiller et de Mama-France perdue dans les malversations et les magouilles de celui qui aurait mieux fait de la laisser tranquillement vivre dans sa région natale. Et peut-être de se faire assassiner par une ethnie adverse.

A part un petit problème de datation que j’ai essayé de résoudre mais je n’y suis pas parvenu, au lecteur de me donner la solution s’il le peut, ce roman s’ancre entre fiction et réalité. Si l’auteur évoque les différends entre Hutus et Tutsis, puis le génocide orchestré, il ne décrit pas ces événements. Pas de voyeurisme complaisant, pas de scènes violentes, de meurtres sauvages. Tout ou presque se passe à Paris entre la Goutte d’Or où habite France-Mama et l’avenue Montaigne où se situe la résidence d’Emile, tout n’est pas joli-joli, car les hommes, qu’ils soient de la haute ou du menu peuple, possèdent tous leurs défauts. Mais en général ceux qui sont bien placés sont à même de bénéficier d’indulgences et de soutien, sauf si les langues se délient, et pas uniquement celles du menu fretin qui serait vite bâillonné, et accusé de vouloir exercer un chantage éhonté et inconvenant. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil surtout dans les couloirs du pouvoir. Un livre puissant, implacable, et qui devrait faire fonctionner nos petites cellules grises, si elles ne sont pas encore anesthésiées par les téléréalités.

Paul Maugendre.