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Richard PRICE : Frères de sang

Polar (Blood Brothers – 1976) traduction de Jacques Martinache. Presses de la Cité: Frères de Sang de Richard Price

Frères de Sang, Richard Price

Comment se fait-il que ce roman, paru aux Etats-Unis en 1976, et alors que d’autres ouvrages de Richard Price ont été traduits en France, n’est proposé qu’en 2010 aux lecteurs français, friands de littérature urbaine et noire ? Un des nombreux mystères de l’édition que nous ne tenterons pas de percer plus avant, nous intéressant plus principalement au contenu du roman.

La famille De Coco, d’ascendance italienne, pourrait n’être qu’une famille comme les autres, avec ses problèmes internes, fondue dans la population du Bronx. Mais ses membres justement ne sont pas tout à fait comme les autres. D’abord Tommy, le père, électricien dans le bâtiment, affilié au Syndicat et qui aimerait bien que son fils Stony embrasse la même profession. Jusque là tout va bien, sauf qu’il aime sortir le soir avec son frère Chubby qui est en surcharge pondérale, et fréquenter les plus ou moins jeunes femmes qui veulent bien se laisser tenter à essayer leur marchandise sexuelle. Stony, le fils aîné, bientôt dix-huit ans, ne sait pas trop ce qu’il veut faire. Enfin si, ne pas aller à l’Université car la seule à avoir accepté sa candidature se trouve en Louisiane. Et suivre les traces de son père ne le tente pas. Il se gargarise volontiers dans les bars en compagnie de son pote Butler et n’apprécie pas du tout que sa petite amie Cheri fricote avec d’autres, ce qui lui arrive trop souvent. Stony étant d’un naturel jaloux, la castagne ne lui faisant pas peur, les coups tombent drus très souvent. Son jeune frère Albert, de dix ans plus jeune, est anorexique et il ne peut manger. Il voudrait bien, il se force, mais son estomac n’accepte pas les offrandes et rejette tout sans pitié. Marie la mère est psychopathe, elle force Albert à ingurgiter ce qu’elle a préparé et celui-ci doit se forcer sous l’œil je m’enfoutiste du père et le courroux du grand frère. Ce qui entraîne animosité de part et d’autre, et les réunions autour de la table ne manquent pas de mordant et de piquant. Les taloches sont distribuées généreusement accompagnées de cris, de pleurs, de récriminations. Bref des ambiances indigestes. Marie fait des cauchemars, Albert aussi, peut-être une explication à leurs problèmes. Ça dégénère le jour où Marie perdant le contrôle d’elle-même, une fois de plus, bat à bras raccourcis Albert. Stony qui arrive à ce moment-là s’invite dans la danse et frappe sa mère. Stony s’explique auprès du docteur qui aimerait comprendre les raisons de cet acharnement. Celui-ci se rend compte que Stony désire protéger son petit frère, aussi il lui propose de travailler dans un hôpital à s’occuper d’enfants malades. Les premiers jours ne se passent pas au mieux car Stony est versé dans un service de gériatrie mais il parvient à intégrer le service de pédiatrie et s’en sort plutôt bien. Ses quinze jours faits il accède à la demande plusieurs fois réitérée de travailler avec son père comme électricien dans un immeuble en construction.

Quel genre de travail l’emportera ? Deviendra-t-il un homme ?

Autant de questions qui se posent à tout un chacun dans cette chronique d’une famille somme toute ordinaire même si elle accumule les travers et les défauts. Bagarreurs, à moitié alcooliques, queutards, racistes quoiqu’ils s’en défendent, « Tu sais que je suis pas raciste, mais les Antillais, je peux pas les sacquer », Tommy et Chubby, et autres protagonistes qui défilent dans un casting urbain, se montrent comme bien d’autres vus à travers une lunette grossissante. Souvent poignant, parfois loufoque, ce roman nous entraîne dans une symphonie du travailleur d’origine émigrée. Poignant dans les rapports entre Albert et sa mère, poignant et loufoque dans la description du travail de Stony dans le service de gériatrie, et dans bien d’autres situations. Le langage cru est celui de la rue et sa verdeur emprunte à ce que l’on appelle aujourd’hui des brèves de comptoir. Un roman à lire en se disant que tout n’est pas vrai, mais que tout n’est pas faux non plus. Quant à l’apprentissage de la vie, surtout lorsqu’on n’est pas né avec une cuiller d’argent dans la bouche, cela s’avère compliqué, malgré la bonne volonté déployée.

Richard Price n’avait que vingt-sept ans quand ce roman fut publié aux USA, mais il démontrait déjà une grande maîtrise d’écriture.