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Charlie Mingus : Moins qu'un chien Polar

Collection Epistrophy, éditions Parenthèses

Charlie MINGUS : Moins qu’un chien. Récit recueilli par Nel King. Collection Epistrophy, éditions Parenthèses. Réimpression. (Beneath the underdog – 1971. Traduction de Jacques B. Hess).

Lors d’une séance de psychothérapie, Mingus déclare qu’il y a trois hommes en lui. L’homme qui observe et attend, celui qui attaque par peur, et celui qui veut donner sa confiance et son amour, mais qui se retire en lui-même chaque fois qu’il se voit trahi. Mingus n° 1, n° 2, n° 3. Laquelle de ses images voulez-vous offrir au monde ? résume et demande le docteur à son patient qui refuse de s’allonger sur le divan, et s’irrite facilement aux propos émis. Mingus se montre désagréable, irritable, irascible, hâbleur, vantard, s’étendant volontiers sur des prouesses sexuelles qu’il aurait eu auprès de prostituées pour mieux les dénigrer et les abaisser plus bas que terre après sa séance de copulation. Mais pourquoi une telle acrimonie ? Peut-être en réaction aux humiliations diverses subies au cours de son enfance, de la part de ses parents, de ses « camarades » d’école, des parents de ses petites amies. Son père le corrige avec sa ceinture parce qu’il urine au lit, ses camarades se moquent de ses jambes arquées et de ses pieds en dedans, les parents de ses jeunes conquêtes féminines parce qu’il n’est ni Blanc, ni franchement Noir. Café au lait, un handicap qui le fait rejeter d’un peu partout. Dès sa prime jeunesse Charlie Mingus fut confronté à un sérieux problème. C’était le 22 avril 1924, il fêtait son anniversaire. En courant il se cogne violemment contre un meuble et est considéré comme mort par ses parents. Une drôle d’entame dans la vie. A l’hôpital, aucun des médecins ne lui donne vraiment une chance de survie, mais dans sa petite tête il reçoit la visite de son double, de son ange gardien, un esprit qui ne le quittera plus jamais. Il grandit parmi les coups et est en butte aux sarcasmes, l’un de ses enseignants allant même jusqu’à affirmer qu’il regarde sous les jupes des petites filles. Le père démontre que Charlie, de la position où il se trouvait au moment des faits, ne pouvait se permettre de telles privautés. C’est l’une des premières vexations qu’il aura à encaisser. Mais son double est toujours présent près de lui, dans sa tête, lui prodiguant des conseils, témoin de ses frasques, l’accompagnant dans les bons et mauvais moments, devenant même un protagoniste à part entière dans la rédaction de son autobiographie. Très jeune Charlie reçoit les faveurs de jeunes filles énamourée : Mary Lee, Manuela, Rita, Barbara qui deviendra sa femme et lui donnera deux enfants mais qui le quittera puis reviendra, le quittera à nouveau, Nesa, Donna… qu’il aimera et rejettera, devenant même un maquereau, les jeunes femmes étant consentantes selon lui. Il a besoin d’argent. Il exerce de petits boulots, se verra refuser des emplois malgré ses capacités, comme lorsqu’il veut se faire embaucher sur un chantier en tant qu’ouvrier spécialisé. Il a beau arguer qu’il a étudié pendant quatre ans le dessin industriel, le patron se moque de lui. Une nouvelle brimade qu’il encaisse, pensant « Quand on me dit Blanc, je prends le mors aux dents. Parfois, je me dis que si tous les Noirs étaient comme moi, il n’y aurait jamais eu d’esclaves parce qu’ils auraient du nous tuer tous ». Pourtant son avenir comme musicien semble bien parti. Après avoir essayé du trombone il se tourne vers le violoncelle qu’il troquera plus tard pour la contrebasse et prend des cours de musique. Au départ il joue d’oreille, sans vraiment connaitre le solfège, ce qui selon son professeur ne peut que lui être profitable et se révèlera un excellent entraînement pour l’improvisation. Il compose et joue avec des musiciens de passage, engrangeant les conseils. Le premier à reconnaître son talent se nomme Art Tatum. Puis il joue dans des clubs avec des amis, dont Buddy Collette, et participe à des sessions avec Charlie Parker, Miles Davis, est engagé pour une tournée avec Lionel Hampton, dont le groupe comporte un trompettiste de talent Fats Navarro qui décèdera peu après. Jouer de la musique ne s’apparente pas à un long fleuve tranquille, comme le lui explique Fats Navarro qui dénonce les agents, les producteurs, tous Blancs et qui ne laissent aux musiciens Noirs que des broutilles sur l’argent qu’ils génèrent. Les patrons de clubs blancs ne les invitent guère à venir jouer, sauf pour des sessions gratuites. Et les vexations s’enchainent, tant du côté des Blancs que des Noirs. Comme l’explique son ami esprit, qui prend souvent la parole « Par chance, il fit la connaissance d’un homme remarquable, un pianiste nommé Harry Zone, qui l’engagea dans un orchestre exclusivement blanc et le fit inscrire au syndicat. Ce qu’il ignorait, c’est qu’il y avait deux syndicats, le Local 12 pour les Blancs et le syndicat Jim Crow pour les Noirs et les Chinois. Harry Zone l’accompagna au Local 12, où l’on cru que mon copain était mexicain, donc Blanc, et où on l’inscrivit. Mais un délégué du syndicat noir se présenta au cabaret où jouait l’orchestre et déclara que Charlie n’y avait pas sa place. Celui-ci perdit le premier boulot qu’il eut décroché à Frisco. Pourtant, grâce à Harry Zone, sa foi en l’humanité de certains hommes à peau blanche s’était un peu accrue, proportionnellement à son mépris pour l’Oncle-Tomisme du délégué noir ». Un nouvel incident dans un parcours déjà bien encombré qui ne peut que souffler sur les braises de la colère, de la rancœur, du sentiment d’injustice.

Dans cet ouvrage, qui se lit non pas comme une autobiographie ou une biographie, mais comme un roman, le parcours de Charlie Mingus se d&ea