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Frédéric DARD La Crève

Polar Editions Fleuve Noir

Frédéric DARD La Crève

Attention, un auteur peut en cacher un autre ! Les fidèles du Fleuve Noir le savent très bien, eux qui au départ ont eu du mal à admettre que San Antonio n’était que le reflet d’art ( !) d’un auteur regardant le monde dans un miroir déformant. Et La Crève, l’un des premiers romans du père heureux et comblé du célèbre commissaire, n’annonçait certes pas la gauloiserie, l’humour débridé, l’ironie douce-amère, le persiflage argotique de celui qui réinventait les relations auteur-lecteur. Il faut avouer qu’à l’époque où ce livre fut écrit et publié (1946 aux éditions Confluences), il fallait une grosse dose de courage pour mettre en scène des personnages aussi troubles, sans les juger négativement comme toute une populace survoltée et prompte à retourner sa veste a pu le faire, confrontée à une réalité douloureuse. Dans un huis-clos qu’aurait pu écrire Sartre, quatre personnages, la famille Lhargne ( !) composée du père cantonnier, de la mère à la panse fibromeuse, de la fille éternelle amoureuse, du fils milicien, se trouvent confrontés à un avenir sans issu. La guerre fait rage, la libération avance à grands pas, et ceux qui ont opté pour une France nazie sont coupés de ceux qui se découvrent une fibre patriotique. Si certains des propos des quatre personnages sont acerbes, vis-à-vis d’eux-mêmes, ils ne remettent pas en cause le noyau familial. A quoi servent les mères lorsqu’elles ne sont plus capables de sauver leurs enfants ? Question fondamentale. Des êtres qui sont perdus, déboussolés, naviguant au gré des vagues, ne comprenant plus ce qui leur arrive, ce qui se passe. Un changement dont Petit Louis, le milicien, est exclu. Et dire qu’autrefois je faisais partie de la foule pense-t-il, alors qu’Hélène, la fille qui a besoin d’amour, tant physique que moral, souligne : Nous autres avons tant besoin d’un Dieu, et ce sont nos parents qui le possèdent. La mère se fait des reproches : Voilà bien l’erreur des pères, ils battent leurs enfants lorsque ceux-ci sont petits et après ils n’osent plus. Et pourtant c’est quand les enfants sont grands qu’ils peuvent le mieux supporter les coups et qu’ils en ont vraiment besoin. Frédéric Dard ne jette pas l’opprobre, il se contente de décrire, parfois de partager l’humiliation de ceux qui ont fauté, de ceux qui se sont rendus coupables de trahison sans vraiment en être conscient, tout en dénonçant une justice expéditive. La mémoire est comme un organe douloureux. Certains s’y habituent comme à un mal de dent chronique et familier, d’autres préfèrent un arrachage pur et simple. Ne cherchez pas l’ombre de San Antonio dans ce roman, mais découvrez une œuvre majeure, une œuvre d’art et d’essai transformé.

Paul Maugendre

Retrouvez les chroniques de Paul Maugendre sur son blog dédié au polar et au jazz à l'adresse suivante   www.mysterejazz-overblog.com