Manu Lanvin : "Calvin Russell m'a montré le chemin"

Manu Lanvin : "Calvin Russell m'a montré le chemin"
Manu Lanvin rend hommage à Calvin Russell.

Il a sorti un album hommage à Calvin Russell.

Le vendredi 7 juin dernier, Manu Lanvin a sorti un disque qui rend hommage à une légende du blues, Calvin Russell. En interview pour Jazz Radio, il est revenu sur la genèse de ce projet dont nous sommes de fiers partenaires, "Tribute to Calvin Russell".

Calvin Russell est quelqu'un qui compte dans votre parcours, qui, quelque part, vous a montré un chemin, une route. Racontez-nous votre rencontre...

Quand il est arrivé en France, c'était un phénomène. On s'intéressait beaucoup à ce personnage charismatique, ce grand mec, avec sa gueule burinée, un chapeau vissé sur sa tête avec une voix très basse, mystérieuse et en même temps très chaleureuse. J'écoutais évidemment ses albums et j'ai eu la chance de le rencontrer à un concert de Paul Personne en 2006. Paul faisait un double concert à la Cigale où il invitait plein de guests à venir le rejoindre sur scène et Calvin Russell, ça faisait longtemps qu'il n'était pas revenu en France et lorsqu'il est montré sur scène, il a directement chopé le public. J'ai vu l'amour que les gens lui portaient. A la fin de ce concert, dans les coulisses, Paul nous a un peu mieux présentés Calvin et moi. Il a dit : "je pense que vous devriez vous parler, vous avez des choses à vous dire, je suis sûr que ça va matcher entre vous". On est devenu amis avant tout, sans projet de faire un album ou de la musique ensemble. Quand il avait des pauses dans ses tournées et qu'il était à Paris, il venait me voir avec sa femme, on écoutait beaucoup de musique, on échangeait sur la vie, sur des sujets de société... Et la vie a fait qu'on a finalement enregistré un disque ensemble, "Dawg Eat Dawg", son dernier album studio, à une époque où il ne voulait plus faire de projet, il était très méfiant avec les maisons de disques, moi, on m'avait rendu mon contrat, on était déçus de ce système et de l'industrie musicale en France. Ils ne comprenaient pas trop le style de musique que nous faisions. Et, ensemble, on s'est porté chance parce qu'on a fait un très bon album, qui a bien fonctionné, une tournée qui était remplie chaque soir et puis il a commencé à avoir quelques soucis de santé. On s'est quitté au milieu d'une tournée et les derniers mots qu'il m'a dit ont été "voilà, tu l'as trouvé ton chemin". Effectivement, c'est lui qui m'a montré le chemin qui a fait que j'en suis là aujourd'hui.

 "Tribute to Calvin Russell", c'est avant tout un concert, ça a été une soirée hommage ?

Exactement. La salle La Traverse à Cléon près de Rouen m'a demandé si j'acceptais de faire un hommage à Calvin connaissant notre connivence et les choses qu'on avait partagées. J'ai accepté. J'ai fait appel à quelques artistes américains dont certains vivent en France tandis que d'autres étaient de passage et puis j'ai aussi appelé la garde rapprochée de Calvin comme Eric Sauviat, un superbe guitariste qui l'a accompagné durant de nombreuses années. Et c'était un concert plein d'émotion, sold out en l'espace de deux jours. Je me suis rendu compte que la musique de Calvin était encore bien inscrite dans le coeur des gens. Et c'est de là d'où est venu l'idée de l'album parce qu'on n'a pas enregistré ce concert et j'ai voulu graver cet instant, reproduire sur disque ce que l'on avait fait sur scène. Cet album est la déclinaison de cette soirée à la Traverse. 

Vous êtes réalisateur et producteur de cet album, mais vous ne chantez que sur un titre...

Si j'avais pu ne pas chanter sur ce disque, ça ne m'aurait pas dérangé. L'idée, c'était de rendre hommage à mon pote, à un ami, à un artiste qui a beaucoup compté pour pas mal de Français. Plus bel était l'hommage, plus il y avait d'intervenants, plus il y avait d'artistes, meix c'était. Ce qui m'intéressait aussi, c'était d'avoir des artistes proches de Calvin mais aussi d'autres qui ne le connaissaient pas pour que cet hommage soit un peu comme un album de la transmission, que ça donne envie aux gens de s'intéresser à toute la discographie de Calvin.

Comment fait-on pour travailler avec autant de monde ?

C'est un boulot énorme mais c'est un boulot passionnant. Avec un Devil Blues amélioré, on est allé en Normandie dans un studio dans lequel on travaille souvent, on a enregistré toutes les bases instrumentales sous des tonalités un peu différentes parce que, très vite, quand j'ai fait la setlist de ce projet, je savais exactement qui je voulais pour telle ou telle chanson. C'était une évidence pour moi. Certains artistes, je ne les connaissais pas forcément très bien. Charlélie Couture, je ne savais pas comment le contacter. Et c'est là où j'ai passé beaucoup de temps, à essayer de choper les interprètes que je voulais. Charlélie, quand il a su que je cherchais à le contacter pour ça, il m'a appelé immédiatement. Il est venu en studio et en l'espace de trois prises à peine, c'était dans la boîte. Il a sorti l'harmonica pendant la prise comme le font les vieux bluesmen du cru, j'étais content. Et je me suis dit : j'ai des invités qui ont cette forme d'authenticité qu'avait Calvin. Ce n'est pas une histoire d'étoiles qui s'alignent, quand tout le monde est raccord sur un projet, ça roule tout seul.

Vous dites que vous saviez quelle chanson proposer à quel interprète. Quels ont été vos critères ?

Je suis arrivé à me projeter. Lorsque que j'enregistrais avec mes gars, c'est moi qui faisais les voix témoins et évidement que les artistes qui sont sur cet album sont des artistes que j'aime, que je respecte, dont je connais le grain de voix et très vite j'arrive à me projeter, un peu comme un réalisateur de film qui sait que, dans son casting, tel personnage doit être joué pat tel acteur. C'était un peu la même histoire, c'est-à-dire que le casting me semblait très naturel. Le plus compliqué a été de les convaincre. Mais j'étais tellement animé par une conviction à toute épreuve que les mecs s sont dits que je devais être un peu dans le vrai.

Calvin Russell, en tout cas sa voix, est aussi présent sur ce disque...

Je voulais absolument que Calvin soit avec nous. J'ai récupéré des bouts d'une interview qui devait faire partie d'un documentaire qui a été tourné dans mon studio à Paris quand nous enregistrions "Dawg Eat Dawg". Ce documentaire n'a jamais pu voir le jour puisque Calvin, pour des raisons de santé, a dû retourner au Texas pour se soigner. Quand le réalisateur a eu écho de mon projet, il m'a dit qu'il avait les derniers mots prononcés par Calvin et des explications qu'il donne sur certaines chansons. Il m'a tout envoyé, j'ai passé des heures à dérusher et j'ai trouvé des pépites. J'ai eu beaucoup d'émotion à réécouter tout ça puisqu'il l'a fait alors que j'étais là, mais j'étais dans le speed de l'album et je ne l'ai pas assez écouté. Je regrette de ne pas m'être plus posé pour l'écouter parler de sa musique. D'avoir Calvin qui parle entre chaque morceau, je trouve que ça fait de jolies liaisons.

Et finalement, vous partez en tournée avec tous ces musiciens ?

Ce n'était pas du tout un projet parce que je ne me sens pas à l'aise dans l'exercice du tribute band ou du cover band. Mais, il y a la volonté de certains festivals qui ont eu écho de ce projet et qui m'ont demandé si j'acceptais de le faire vivre en live. J'ai dit oui mais il n'y a que trois dates. Et à chaque date, j'ai pu réunir un bon nombre d'invités de l'album donc j'ai dit ok. 

Est-ce que vous avez des contacts avec la famille de Calvin Russell ?

Oui, c'était essentiel pour moi. Déjà à la Traverse, j'avais demandé à sa femme d'être là, j'avais invité son beau-frère qui est monté sur scène et qui était son protégé. De toute façon, je n'aurais pas fait ce disque si sa femme n'avait pas donné son accord. Quand je lui en ai parlé, elle a tout de suite dit oui et m'a même encouragé. Je suis resté proche d'elle et quand quelque chose marchait bien, j'étais tellement content de lui envoyer un petit mix pour qu'elle écoute tout ça en exclusivité. C'était chouette, on a beaucoup échangé et je suis content que ça fasse aussi de belles émotions.

Propos recueillis par Benoit Thuret

Texte écrit par Grégory Curot