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Et si Dean Martin était le vrai Roi du Cool ?

Et si Dean Martin était le vrai Roi du Cool ?

Las Vegas, début des années 60. Sur scène, trois légendes : Frank Sinatra, impérial ; Sammy Davis Jr., électrique ; et Dean Martin, un peu en retrait, verre à la main, l’air de se demander ce qu’il fait là. Erreur totale : c’est lui qui tient la soirée.

Le phrasé unique d’un maître du swing

Dans le célèbre Rat Pack, Dean Martin n’est ni le chef ni le prodige. Il est le contrepoint. Celui qui fait redescendre la pression quand l’ego menace de monter trop haut. Quand Sinatra impose, Dean Martin suggère. Quand les autres brillent, lui tamise la lumière.

Musicalement, Dean Martin n’a rien d’un amateur. Formé très jeune, nourri d’opéra italien et de swing américain, il possède un phrasé unique, légèrement en arrière du temps. Cette voix donne à ses chansons une impression de flottement souverain. Écoutez “Return to Me”, “Volare”, “You’re Nobody ’Til Somebody Loves You” : jamais forcée, toujours enveloppante, elle sait exactement quand s’effacer.

Ses albums Capitol et RepriseThis Time I’m Swingin’! ou Sleep Warm, arrangé par Nelson Riddle — sont des modèles d’équilibre. Pas d’esbroufe, des tempos justes, un orchestre qui respire. Dean Martin ne se bat jamais avec l’arrangement : il s’y installe, comme dans un fauteuil trop confortable pour être neuf.

Le cinéma, la télévision et l’art de la décontraction

Au cinéma, même élégance faussement distraite. Dans Rio Bravo de Howard Hawks, face à John Wayne, il incarne un homme fragile, alcoolisé, profondément humain. Il est bouleversant sans jamais surjouer.

Plus tard, l’histoire désignera un autre King of Cool : Steve McQueen. Silhouette sèche, regard fermé, cool minéral, presque silencieux. McQueen incarne le cool de tension, de vitesse, de danger. Dean Martin, lui, sourit. Et c’est peut-être là toute la différence.

À la télévision, The Dean Martin Show est une masterclass de décontraction maîtrisée. Chaque semaine, il feint l’improvisation, les oublis, les dérapages. Sinatra, Ella Fitzgerald, Bing Crosby passent comme par hasard. Tout semble improvisé. Tout est réglé. Donner l’illusion du lâcher-prise : voilà le vrai cool.

Dean Martin savait rire de son image d’éternel légèrement ivre — souvent exagérée, parfois inventée. Il avait compris que le public aime croire que tout est facile. Alors, il lui offrait cette illusion, avec élégance.

Le vrai Roi du Cool : un pas de côté

Face à Sinatra, tragédien du swing, Dean Martin est un hédoniste lucide. Il ne chante pas l’amour comme un combat, mais comme un plaisir fragile. “Everybody Loves Somebody” n’est pas un manifeste : c’est un sourire heureux.

Et si le cool, finalement, était une question de distance ? Ce pas de côté qui empêche la vie de devenir trop lourde. Peut-être que le vrai Roi du Cool n’était pas celui qui dominait la scène… mais celui qui la rendait habitable.