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Thierry PEREMARTY : Visiting Jazz.

Quand les jazzmen américains ouvrent leur porte

Collection Attitudes. Editions Le Mot et le Reste. Préface d’Alex Duthil.

Ce n’est pas en convoquant dans un café ou dans un studio de télévision ou de radio, endroits dénués d’intimité et de repaires, un artiste, peintre, écrivain, musicien que celui-ci peut le mieux s’exprimer, se confier, se révéler, se dévoiler.

L’auteur de cet ouvrage a préféré se rendre dans l’intimité même de ceux qu’il désirait interviewer. Les langues se délient mieux et les visages se prêtent plus facilement à l’objectif. Ainsi William Claxton, photographe lui-même, a accepté de se faire prendre le portrait, ou encore Anita O’Day, qui selon son agent n’acceptera jamais de poser devant l’objectif. Sauf que non seulement elle a bien voulu poser mais de plus en compagnie de l’auteur. Anita O’Day qui depuis nous a quitté, l’entretien ayant eu lieu le 28 novembre 2000. Elle disparaissait le 23 novembre 2006. Des entretiens humoristiques, dévoilant la face cachée des instrumentistes ou des interprètes, poignant également, émouvant parfois. Ainsi Michel Pettrucciani dont l’entretien était programmé pour le 7 janvier 1999, et dont la première rencontre eut lieu le 31 décembre 1998 pour une séance photographique. Il décédait peu après, le 6 janvier 1999, alors que la veille, sur son lit d’hôpital, il avait choisi le cliché devant figurer sur cet ouvrage.

Plus anecdotiques, les entretiens accordés par Pete Christlieb, dans son garage, en train de réparer des dragsters, engins qu’il ne conduit plus, ses fils ayant pris la relève. Ou encore Roy Haines, qui délaissant sa batterie, se met au piano et désirant imiter Thelonius Monk « fait » du Cecil Taylor. Ou encore John Heard, qui abandonne sa contrebasse en 1988 pour passer à autre chose, se consacrant à la peinture et la sculpture. Mais en 1992, il repique au truc, à son grand étonnement.

Horace Silver qui vit presque en ermite, non pas parce qu’il n’a pas d’amis, mais par besoin de solitude, pratiquant un régime presque exclusivement végétarien, relevant de maladie cardiaque, annulant ses tournées, mais toujours habité de nombreux projets. Et puis tant d’autres de Gato Barbiéri jusqu’à Joe Zawinul, en passant par Kenny Burell, Lou Donaldson et ses clubs de golf, Henri Grimes, que tout le monde pensait mort depuis des décennies et qui a été retrouvé par hasard au bout d’une longue enquête par un assistant social féru de jazz, et qui depuis a entamé une renaissance musicale, Jim Hall et son chien, et combien d’autres photographiés dans leur jardin, en short, ou dans le salon habillé comme s’ils allaient sortir en concert, ou épluchant des champignons comme Chico Hamilton, se pavanant devant leur voiture, et le plus souvent photographiés en compagnie de leurs instruments, l’objet indispensable de leur profession et de leur passion. Sans oublier Buddy Collette, Ray Ellis, Milt Jackson, Al Jarreau, Pharoah Sanders, Lalo Schiffrin, et combien d’autres qui ne sont pas forcément connus du grand public. En tout près de 80 entretiens, et autant de photos, qui relèvent de la bonne franquette. Des restitutions d’entretiens plutôt, car il n’agissait pas de reproduire une conversation, un dialogue, mais d’insérer quelques échanges dans un récit vivant, empreint souvent de sensibilité, de regrets parfois, de projections sur l’avenir souvent. Et ces entretiens, qui sont datés, se déroulent de 1998 jusqu’à 2009 et ont fait l’objet de publications dans Jazzman, une revue aujourd’hui disparue par sa fusion avec Jazz Magazine.

Un ouvrage qui se lit en grappillant au hasard de l’inspiration, avec une certaine nostalgie pour certaines de ces pages.

 

Paul Maugendre

 

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